av Ernest Daudet
409,-
" Parmi les hôtels qu'on trouve sur le côté gauche de la rue Laffitte, en allant du boulevard à Notre-Dame de Lorette, il en est un remarquable entre tous par ses belles proportions architecturales et par les sculptures fouillées dans sa façade. Il appartenait, il y a vingt ans, au banquier Jacques Savaron. Cet hôtel se compose de deux grands corps de logis séparés par une vaste cour. Dans le premier, qui s'étend sur la rue, était installé le bureau du célèbre financier. Le second, situé entre la cour et un jardin rasé depuis, lui servait d'habitation. On ne saurait souhaiter une demeure plus somptueuse. Tout ce que les hommes ont inventé pour rendre l'existence confortable, luxueuse, pour aider aux aises du corps et flatter les yeux, se trouvait dans cette maison. Merveilles de l'industrie de l'ameublement, chefs- d'oeuvre de l'art, tableaux, statues, bronzes, tapis, plantes rares, tout s'étalait comme à profusion; il suffisait de mettre le pied sous ce toit favorisé par la fortune pour deviner que celui qui l'habitait n'avait plus rien à désirer des félicités matérielles et qu'il avait épuisé tous les plaisirs. C'est dans une vaste pièce de l'hôtel Savaron que nous introduisons nos lecteurs. Il est cinq heures de l'après -midi. Le jour baisse rapidement, si rapidement qu'au moment où commence ce récit, un valet de pied vient d'apporter plusieurs lampes qu'il a déposées, l'une sur un vaste bureau couvert de papiers, l'autre sur un guéridon, la troisième sur un fût de colonne. Ces lampes, par la manière dont elles sont placées, distribuent habilement leur clarté. Tout est dans l'ombre, et cependant tout se voit."