av Emile Zola
455,-
Il y a juste dix ans, ma chère âme, que je t¿ai conté mes premiers contes. Quels beaux amoureux nous étions alors ! J¿arrivais de cette terre de Provence, où j¿ai grandi si libre, si confiant, si plein de tous les espoirs de la vie. J¿étais àtoi, à toi seule, à ta tendresse, à ton rêve. Te souviens-tu, Ninon ? Le souvenir est aujourd¿hui l¿unique joie où mon c¿ur se repose. Jusqüà vingt ans, nous avons battu ensemble les sentiers. J¿entends tes petits pieds sur la terre dure ; j¿aperçois des bouts de ta jupe blanche au ras des herbes folles ; je sens ton haleine parmi de lointains souffles de sauge, qui m¿arrivent comme des bouffées de jeunesse. Et les heures charmantes se précisent : c¿était un matin, sur la berge, au bord de l¿eau réveillée à peine, toute pure, toute rosé des premières rougeurs du ciel ; c¿était une après-midi, dans les arbres, dans un trou de feuilles, avec la campagne écrasée, dormant autour de nous, sans un frisson ; c¿était un soir, au milieu d¿un pré, lentement noyé sous le flot bleuâtre du crépuscule, qui coulait des coteaux ; c¿était une nuit, marchant le long d¿une route interminable, allant tous deux à l¿inconnu, insoucieux des étoiles elles-mêmes, au seul bonheur de laisser la ville, de nous perdre loin, très loin, au fond de l¿ombre discrète. Te souviens-tu, Ninon ?